Le Pape

Benoît XVI : le dernier virage

Les fidèles Catholiques du monde entier ont vécu avec déchirement, consternation et profond respect l’annonce surprise le 11 février 2013 par le Saint Père lui-même de sa renonciation au ministère de Pierre. La démission d’un pape en effet ne s’était pas produite depuis le 16ème siècle (600 ans), d’où son caractère absolument nouveau et extraordinaire mais non contraire à l’histoire de l’Eglise.

Les raisons de la renonciation : l’amour de l’Eglise
Lors d’un discours en latin durant le Consistoire ordinaire du 11 février 2013 au Vatican, Benoît XVI a annoncé sa renonciation en ces termes : « Après avoir examiné ma conscience devant Dieu, à diverses reprises, je suis parvenu à la certitude que mes forces, en raison de l'avancement de mon âge, ne sont plus aptes à exercer de façon adéquate le ministère pétrinien ». Pour apaiser et rassurer les fidèles, il y est revenu lors des deux dernières audiences générales  : « Ces derniers mois, j’ai senti que mes forces avaient diminué, et j’ai demandé à Dieu avec insistance, dans la prière, de m’éclairer de sa lumière pour me faire prendre la décision la plus juste, non pour mon bien, mais pour le bien de l’Eglise. J'ai fait ce pas avec la pleine conscience de sa gravité et aussi de sa nouveauté, mais avec une profonde sérénité d’âme. Aimer l'Eglise signifie aussi avoir le courage de faire des choix difficiles, soufferts, en ayant toujours devant [soi] le bien de l'Eglise et non de soi-même. » (Audience générale du mercredi 27 février 2013).

Une décision vécue dans l’humilité et la foi
Comme toujours, l’extrême clarté du Pape a rendu ses paroles absolument accessibles, malgré le caractère douloureux de l’événement. La grande foi qui l’anime l’a conduit à vivre les derniers jours de son pontificat dans une grande sérénité ; communiquant sans cesse sa foi immense et son grand amour pour le Christ et son Eglise, et l’espérance chrétienne qui l’anime. Comparativement à Jean-Paul II qui a porté sa croix jusqu’au bout, la décision du pape a été critiquée et vue comme un abandon de la croix. Lui-même y répondra d'ailleurs lors de son enseignement à l’audience générale du 27 février 2013 : « Je ne retourne pas à la vie privée, à une vie de voyages, de rencontres, de réceptions, de conférences, etc. Je n'abandonne pas la Croix, mais je reste de façon nouvelle auprès du Seigneur Crucifié. Je ne porte plus le pouvoir de la charge du gouvernement de l’Eglise, mais dans le service de la prière je reste, pour ainsi dire, dans l’enclos de saint Pierre. Saint Benoît, dont je porte le nom comme pape, me sera d’un grand exemple en cela. Il nous a montré le chemin d’une vie, qui, active ou passive, appartient totalement à l’œuvre de Dieu. »

L’Eglise aura-t-elle deux Papes ?
A voir comment le pape Benoît XVI s’est organisé, l’on comprend qu’il n’entend pas tirer les ficelles dans l’ombre ni même faire ombrage à son successeur. En renonçant à son ministère, il a tenu à créer des conditions favorables à l’élection de son successeur. La première de ces conditions est son retrait temporaire à la résidence d’été des Papes (Castel Gandolfo), pour laisser l’espace et la liberté aux Cardinaux d’anticiper le conclave en vue d’élire son successeur ; la deuxième est sa décision de commencer à mener deux mois après son retrait volontaire, une vie de prière au monastère Mater Ecclesiae à l’intérieur du Vatican ; la troisième est sa « révérence » et « obéissance inconditionnelles » promises à son futur successeur devant les Cardinaux réunis au Vatican le matin du 28 février 2013, à quelques heures du début de la Vacance du Siège de Pierre. Malgré que les fidèles n’y soient pas habitués, le pape a dit néanmoins conserver son nom de règne Benoît XVI ; il sera simplement « pape émérite ». Pour assurer un meilleur déroulement de l’élection de son successeur, il a publié la Lettre apostolique en forme de motu proprio (lettre écrite de sa propre initiative) dans laquelle il a réaffirmé des règles très concrètes, entre autres le vote aux deux-tiers et le secret absolu que chaque Cardinal électeur présent au conclave doit observer.

Un Pèlerin en fin de parcours
Aux fidèles éplorés venus le saluer à Castel Gandolfo, le Pape émérite a dit : « Je suis un simple pèlerin qui entame la dernière partie de son pèlerinage sur Terre ». Ces paroles du Pape, comme tant d’autres prononcées ces dernières semaines, révèlent la grande foi qui l’anime et qui a été au centre de toute sa vie et de son action pastorale durant les 8 ans de pontificat vécus au service du peuple de Dieu. Benoît XVI nous a ainsi enseigné que comme tout chrétien sur terre, il est un pèlerin en marche qui arrive à la fin, non de la vie, mais du parcours terrestre.

Un pape consacré à la prière et à la contemplation
Le message de la Madone du 25 février 2013 à Medjugorje est une invitation insistante à la prière : « Chers enfants, aujourd‘hui encore je vous appelle à la prière. (…), petits enfants, priez, priez, priez jusqu’à ce que la prière devienne joie pour vous ; et votre vie deviendra une simple marche vers Dieu. » Alors que beaucoup de chrétiens, bouleversés par la décision du Pape de se retirer se demandent si c’était la bonne décision, son invitation incessante à la prière ; sa promesse de rester uni aux fidèles du monde entier dans la prière ; et surtout ses paroles « Je n'abandonne pas la Croix, mais je reste de façon nouvelle auprès du Seigneur Crucifié. » sont absolument significatives. Le Pape, non seulement se dédiera à la prière avec et pour l’Eglise, mais comme la Vierge et l’Apôtre Jean, il restera au pied de la Croix pour contempler et prier le Christ en faveur de l’humanité.
Tandis que beaucoup de journaux voient dans la renonciation du Pape un échec de son pontificat ; Benoît XVI lui-même, en cette année de la foi, invite plutôt les fidèles à vivre ces événements dans la foi et la prière, le regard fixé sur le Christ et vers le futur que seul Dieu gouverne.

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Naissance, enfance bavaroise et vocation sacerdotale


Joseph Ratzinger naît le samedi saint du 16 avril 1927 à Marktl-am-Inn, « au cœur catholique de l’Allemagne méridionale, sur la frontière entre la Basse et la Haute Bavière »[1] non loin de l’Autriche. Troisième d’une famille de trois enfants (dont les aînés Georg et Maria Ratzinger), il reçoit le baptême le matin même de sa naissance, chose qu’il considère lui-même comme « un signe de bénédiction »[2]. A cause des obligations professionnelles du père, Joseph, officier de gendarmerie, la famille fut régulièrement en mouvement ; ce qui fait dire au Cardinal Ratzinger ce qui suit : « Où se trouve ma vraie patrie, je ne saurais le dire avec précision »[3].

Le monde dans lequel il passe son enfance est marqué par une situation sociale et une conjoncture économique difficiles : « chômage, réparations de guerre qui pesaient sur l’économie allemande, affrontement des partis qui dressait les individus les uns contre les autres, maladies qui frappèrent notre famille »[4]. Dans la suite de son récit, le tableau est tout aussi sombre :

« Mais nous sentions aussi que le monde joyeux de notre enfance n’était pas encore le paradis. Derrière les belles façades se cachait une grande pauvreté discrète. (…) Le climat politique empirait à vue d’œil. (…) L’incapacité de la République de l’époque à créer une stabilité politique, par là, à mener une action convaincante était flagrante face au débordement des luttes partisanes, qu’enfant je ressentais déjà. Le parti nazi se faisait de plus en plus triomphant, et se déclarait la seule alternative au chaos menaçant »[5].

L’accession d’Adolphe Hitler au poste de Chancelier du Reich marque le début d’une ère nouvelle : la montée en puissance du nazisme, la naissance de la Jeunesse hitlérienne où Georg e Maria, frère et sœur du petit Joseph vont être contraints de participer aux manifestations, l’intensification des discriminations contre les Juifs, « la lutte contre l’école religieuse ». Le 6 mars 1937, son père prend sa retraite à l’âge de 60 ans. La famille s’installe alors à Traustein où le jeune Ratzinger fait aussitôt son entrée au lycée des humanités après des études primaires à Aschau. Il est alors le plus jeune de sa classe. Sous la pression du curé, il entre au séminaire de Traustein à Pâques 1939 où déjà se trouvait son frère Georg. Alors que la deuxième guerre mondiale bat son plein, il est enrôlé dans la Jeunesse hitlérienne durant l’été 1941. En 1943, à l’âge de 16 ans, il est appelé au service de guerre avec le groupe de séminaristes de sa classe aux « unités de la défense antiaérienne (DCA) » à Munich. Après un bref retour en famille, il part de nouveau vers fin 1944 pour le service de guerre, cette fois-ci à la caserne d’infanterie de Traustein, qu’il déserte ensuite vers "fin avril ou début mai" de l’année suivante. Reconnu comme soldat après l’arrivée de l’armée américaine, il est fait prisonnier à Traustein puis transféré à Ulm où il retrouve sa liberté le 19 juin 1945.

Alors qu’il a moins de 19 ans il entame les études de philosophie au grand séminaire de Freising. Le parcours philosophique et théologique est clôturé par l’examen final de théologie à Munich en août 1950 ; puis s’ensuit l’ordination sacerdotale en la cathédrale de Freising ensemble avec son frère Georg le 29 juin 1951. La paroisse du Précieux-Sang à Munich sera son premier poste missionnaire.

Itinéraire intellectuel


Dès le lycée des humanités de Traustein, les appétits littéraires du jeune Joseph Ratzinger annoncent ce qui s’en suivra. Il éprouve un enthousiasme particulier pour les classiques grecs et latins, aime même les mathématiques et découvre la littérature. Il estime avoir lu avec passion Goethe et avoir eu un penchant pour les auteurs du XXème siècle. A cette même période, compose des poèmes et s’intéresse aux textes liturgiques. Dans l’après-guerre au séminaire de Freising, il fait savoir qu’ils [lui et ses camarades] avaient une « soif de connaissance, qui avait grandi au cours des années d’indigence et de dépendance du moloch du pouvoir éloigné du monde de l’esprit ». Pour lui en fait, faire la théologie au sens étroit du terme ne suffisait pas mais importait plus l’écoute de l’homme contemporain. Le genre roman n’était pas en reste, en même temps que lui et ses camarades suivaient de près les derniers développements des sciences naturelles. A cette vaste activité de l’esprit s’ajoute un champ philosophique et théologique riche en auteurs de renom. Somme toute, l’étudiant Ratzinger est un lecteur passionné et attentif, pour qui le personnalisme du penseur juif Martin Buber est « une expérience intellectuelle  marquante » proche de la pensée de Saint Augustin qu’il découvre dans les Confessions, « avec toute sa passion et sa profondeur humaines » aux antipodes de Saint Thomas qu’il avoue avoir eu du mal à comprendre à cause de sa « logique cristalline (…) trop fermée sur elle-même, trop impersonnelle et trop stéréotypée »[6]. C’est aussi le brillant étudiant pour qui l’exégèse occupe une place de choix dans les travaux théologiques et dont les souvenirs ainsi exprimés dessinent le profil du théologien : assoiffé de comprendre le Nouveau Testament comme l’âme de toute théologie, dont la liturgie est « source vitale et sans laquelle elle est vouée au dessèchement ». En fin observateur de la situation préoccupante de l’abandon de la foi par les jeunes et des limites méthodologiques de la catéchèse face à une société d’après-guerre en pleine mutation, il publiera plus tard son premier essai à caractère polémique intitulé Les Nouveaux Païens et l’Eglise (Die neuen Heiden und die Kirche).

Nommé au grand séminaire de Freising le 1er octobre 1952, il s’essaie à l’enseignement tout en parachevant ses examens de doctorat en théologie dont la thèse portait sur les Pères de l’Eglise. Il écrira ensuite une thèse d’habilitation sur la Révélation selon Saint Bonaventure qu’il soutiendra non sans peine le 21 février 1957. Le 1er janvier 1958, il entame une longue carrière universitaire de Professeur de théologie fondamentale et de dogmatique d’abord au séminaire de philosophie et théologie de Freising, puis aux universités de Bonn, Münster, Tübingen et Ratisbonne. Sollicité par l’alors archevêque de Cologne, le Cardinal Frings comme conseiller théologique, il participe au Concile Vatican II en qualité d’expert officiel nommé vers la fin de la première session par le Pape Jean XXIII.

L’expérience scientifique affirmée le porte à occuper des responsabilités au sein de la conférence épiscopale allemande. Il est ensuite nommé membre de la Commission Pontificale internationale de théologie, et devient en 1972 co-fondateur de la revue théologique Communio (site en langue anglaise de Communio).

 

De l’archevêché de Munich-Freising au Siège de Pierre


Des amphithéâtres à l’évêché, il n’y a pas qu’un pas à franchir puisque l’intéressé ne s’y attendait pas du tout. Il est nommé archevêque de Munich et Freising le 25 mars 1977, puis ordonné le 28 mai et enfin créé cardinal par le Pape Paul VI le 27 juin de la même année. L’année suivante, il participe aux deux conclaves qui élisent Jean-Paul I et Jean-Paul II, lequel le nomme Préfet de la Congrégation pour la Doctrine de la Foi le 25 novembre 1981, cumulativement avec la présidence de la Commission biblique pontificale et de la Commission internationale de théologie. Il restera en poste jusqu’à la mort de Jean-Paul II le 2 avril 2005. Entre temps, il préside la Commission chargée de la préparation et rédaction finale du Catéchisme de l’Eglise Catholique (1986-1992) et en 1998 (le 6 novembre), il est élu Vice-Doyen puis Doyen du Collège des Cardinaux en 2002 ; fonction qu’il assume jusqu’à la mort de Jean-Paul II en 2005. 

Au sein de la Curie, le Cardinal Ratzinger aura été, en plus de la présidence de la Congrégation pour la doctrine de la foi, membre de plusieurs autres Congrégations, Commissions et Conseils Pontificaux. En intellectuel prolixe et prolifique, il compte à son actif de nombreuses productions théologiques et reçois de 1984 à l’année 2000 de nombreuses reconnaissances universitaires dont 7 doctorats « honoris causa »[7].

Pour plus d’informations, consulter la biographie du pape dans le site Internet du Saint-Siège.


[1] E. ZANOTTI, Il sorriso Benedetto. Pellegrinaggio nella terra d’infanzia di Papa Benedetto XVI, Siena, Cantagalli, 2007, p. 13
[2] J. RATZINGER, Ma vie, Souvenirs (1927-1977), Traduction de l’Allemand par M. HUGUET révisée par J. LAFFITE, Fayard, Saint-Amand-Montrond [achevé d’imprimer à], 1998, p. 8
[3] Ibid., p. 7
[4] Ibid., p. 9
[5] Ibid., p. 13
[6] Ibid., p. 52
[7] Cf. http://www.vatican.va/holy_father/benedict_xvi/biography/documents/hf_ben-xvi_bio_20050419_short-biography_fr.html, visité le 13/09/2010 à 19 h 22



Pourquoi le pape a mauvaise presse


Clés de lecture de l’image de Benoît XVI dans les médias :

Une nécessité pour les Catholiques.

Ceux parmi des millions de lecteurs et téléspectateurs qui se seront contentés d’un flash télévisé de 50 secondes ou d’un filet dans un journal gratuit ou quelques gros titres sur internet au sujet de la sortie le 23 novembre 2010  dans ses versions italienne et allemande de Lumière du monde, livre-entretien de Benoît XVI avec je journaliste allemand Peter Seewald, n’auront en réalité retenu qu’une chose : un pape (Benoît XVI) admet pour la première fois l'utilisation du préservatif.

Je pars de cet exemple pour montrer à quel point certaines règles et critères de fonctionnement des médias aujourd’hui conditionnent l’information journalistique au risque de faire purement et simplement de la désinformation. Je peux citer entre autres : la sélection même de l’information à publier, certaines techniques de rédaction et présentation de l’information, la ligne éditoriale de chaque organe de presse, les tendances idéologiques et politiques dominantes, la vision du monde propre à chaque rédacteur, les intérêts économiques et stratégiques des sociétés multinationales et groupes de pression auxquels appartiennent ces organes de presse, etc. L’objectif de cet article est d’éclairer nos lecteurs sur le conditionnement de l’opinion par certains puissants médias dans la manière d’effectuer l’information sur le Pape Benoît XVI.

Le problème Benoît XVI

Dans la quatrième de couverture d’un ouvrage écrit par Isabelle de Gaulmyn, journaliste et ancienne correspondante du quotidien français catholique La Croix au Vatican, l’éditeur écrit : « Depuis son élection en 2005, ce pape intrigue, ce pape dérange » (Benoît XVI, le pape incompris, Paris, Bayard, 2008). D’autres livres vont dans le même sens ; c’est le cas de la quatrième de couverture du livre de Michel Viot où l’éditeur écrit : « Depuis son élection, le pape Benoît XVI soulève les passions. On lui reproche ses positions sur l’islam, sur la liturgie, sur le préservatif. On le dit autiste, antimoderne, adepte d’une réaction qui ne dit pas son nom » (Le vrai et le faux. Comprendre la pensée de Benoît XVI, Paris, Editions de l’Œuvre, 2009). Dans le même ordre d’idée l’éditeur du livre du journaliste français Bernard Lecomte, intitulé "Pourquoi le pape a mauvaise presse, Entretiens avec Marc Leboucher", pose une série de questions intéressantes dont voici la teneur : « Pourquoi le pape, chef spirituel d’un milliard de croyants, est-il si mal traité par les médias ? (…) Est-ce le fait de son manque de charisme, comparé à son prédécesseur ? Ou de ses récentes fautes de communication – discours de Ratisbonne, affaire Williamson, drame de Recife, condamnation du préservatif ? Au-delà de sa personne, est-ce le signe que le Vatican n’a pas su s’adapter aux exigences des médias d’aujourd’hui ? Ou que l’Eglise, par méfiance ou par principe, refuse délibérément de jouer le jeu de la communication moderne ? Est-ce, enfin, l’évolution des médias qui les conduit à ignorer peu à peu la nuance, la complexité, la pensée, la mémoire ? Ou bien est-ce l’effet de la sécularisation, de l’inculture religieuse, de l’anticléricalisme, du « politiquement correct » ou de l’individualisme ? » (Livre publié aux éditions Desclée de Brouwer en 2009).

Signalons également que plusieurs portraits ou clichés faits sur Benoît XVI dans la presse internationale sont repris par le magazine Le Point (n° 1906 du 26 mars 2009) entre autres: le Pape qui multiplie les scandales (p.74), un Pape isolé (p. 74), un solitaire qui « déjeune et dîne seul » (p. 75) ; qui décide seul; un Pape dont la parole « pour l’opinion publique se résume à une litanie de non » (p. 77) ; quelqu’un qui « n’a pas la fibre politique » (p. 78) ; qui est un problème ; un Pontife théologien qui « règne aujourd’hui sans gouverner »; un Pape dont « l’image s’est fortement dégradée ». Selon le sociologue des religions Jean-Louis Schlegel « le Pape actuel semble timide, assez solitaire, maladroit quand il sort de la théologie et qu’il doit faire, forcément, de la politique » (p. 78). Un journaliste de ce même hebdomadaire estime que Benoît XVI « est un homme des livres, un érudit, un professeur, habile à faire parler les textes et qui aime jouer du piano fort dans la solitude. Par ailleurs, il est franc comme l’or : dit à haute voix ce qu’il pense. C’est là son sort. » (p. 79).


Bernard Lecomte et Marc Leboucher, dans le livre déjà évoqué, estiment que le Cardinal Joseph Ratzinger avait déjà une « image publique » bien avant son élection et mon étude de 240 titres publiés par quatre importants journaux français et américains – notamment Le Figaro, Le Monde, The New York Times et The Washington Post – suite à l’élection de Joseph Ratzinger au Siège de Pierre confirme parfaitement cette affirmation.

En fait, les deux auteurs affirment que cette image, bien constituée et solidement affirmée par les médias, part non du Professeur ni du théologien de renom qu’il a été, mais de l’impopulaire et ingrate charge de Préfet du « mystérieux et redoutable dicastère » de la Congrégation pour la doctrine de la foi (pages 33-35). L’une des choses qui façonnent forcément l’image du titulaire dudit dicastère est donc la réputation même de ce dernier. Ils en arrivent à la conclusion que, quel qu’il soit, le responsable de l’ex-Sacrée Congrégation du Saint Office, elle-même ex-"Sacrée Congrégation de l’Inquisition", « est forcément taxé de conservatisme, et régulièrement surnommé, par facilité, le "Grand Inquisiteur" » (p. 35). Les journaux lui ont d’ailleurs attribué certains surnoms pas toujours sympathiques avant et après l’élection : le Panzerkardinal pour son intransigeance et ses origines allemandes, Papa Schultz, pour ses origines allemandes (nous reviendrons d’ailleurs sur la question des origines allemandes), le watchdog (comme gardien du dogme), Le Berger allemand (presse italienne de gauche), le réactionnaire

Notons par ailleurs que l’énorme bagage du Cardinal J. Ratzinger n’a pas toujours joué en sa faveur ; car, comparativement au Cardinal Karol Wojtyla en 1978 par exemple, lorsqu’il est élu le 19 avril 2005, il n’est pas du tout un inconnu, ni au sein de la curie romaine ni en Italie, ni en Europe ni même dans l’univers intellectuel catholique et médiatique. Il est l’un des derniers héritiers du Concile Vatican II où il a participé comme expert officiel et où il était alors vu comme un « progressiste » (Philippe LEVILLAIN, Le moment Benoît XVI, Mayenne [achevé d’imprimer à], Fayard, 2008, p. 190) et a un des parcours les plus lourds au sein du Collège cardinalice d’alors : grand théologien de renommée mondiale ; professeur titulaire de théologie dans les universités allemandes pendant 24 ans ; ancien archevêque de Munich et Freising ; un des cardinaux ayant participé aux deux conclaves historiques de 1978 ; bras droit de Jean-Paul II à la Congrégation pour la doctrine de la foi pendant 24 ans, doyen du Sacré Collège et à ce titre il préside la très médiatique messe des obsèques de Jean-Paul II Place Saint-Pierre le 8 avril 2005 et la célébration eucharistique solennelle de la messe pro eligendo romano pontefice (pour l’élection du Pontife Romain). Il est auteur de nombreuses publications et à cause de décisions difficiles et de sanctions émanant de la Congrégation pour la Doctrine de la Foi dont il était le chef, il traîne derrière lui une renommée de « Grand Inquisiteur » qui s’est consolidée avec le temps dans les esprits de l’élite journalistique mondiale. Par ailleurs, son combat acharné au sein même de l’Eglise contre la théologie de la libération et d’autres formes de théologie jugées peu conformes à la rigueur de l’orthodoxie catholique et à l’extérieur contre l’idéologie relativiste lui a valu l’étiquette de conservateur « réactionnaire » affirmé. Cependant et paradoxalement, la vraie personnalité de Joseph Ratzinger devenu Benoît XVI est restée un mystère pour les masses, ce qui explique aussi l’énorme pouvoir des clichés fabriqués et reflétés auprès du grand public par les médias.

Les titres des journaux dans les jours ayant suivi l’élection

L’image, les impressions et les sentiments que reflètent les titres au lendemain de l’élection et les premières semaines de Pontificat de Benoît XVI seront déterminants pour la confirmation et l’extension dans le temps des préjugés et clichés préexistant à l’accession au Siège de Pierre. Un coup d’œil circulaire sur les titres du 20 avril en dit long : « la surprise est immense » (La Croix) ; « Un coup de théâtre » (Le Figaro) ; « Un tenant de l’orthodoxie de la foi » (Le Figaro) ; « Une élection qui provoquera des vagues dans l'Eglise » (Le Figaro) ; « L'Europe souhaitait un pape progressiste » (Le Figaro) ; « Gardien intransigeant du dogme » (Agence France Presse) ; « L’aile droite du Saint-Esprit l’a emporté » (El Periodico – quotidien catalan) ; « Un pape à réaction » (Libération) ; « La ligne dure et la défense de la foi à outrance ont gagné » (El Pais – quotidien payant le plus diffusé en Espagne) ; « Aucune raison d’espérer un changement » (New York Times – premier quotidien américain) ; « Un guerrier pour défier la modernité » (La Repubblica – deuxième quotidien le plus vendu d’Italie) ; « Un symbole de rigidité dogmatique » (Die Presse – quotidien autrichien de centre-droit) ; « Le temps d’un Gorbatchev au Vatican n’est pas venu » (Les Izvestia – grand journal russe).

Une lecture approfondie des titres des quatre quotidiens français et américains dont j’ai fait mention plus haut livre un résultat intéressant sur la confirmation et la solidité des traits caractéristiques et des stéréotypes médiatiques sur Ratzinger qui influenceront de façon irréversible l’information journalistique sur Benoît XVI et le jugement de l’opinion sur le nouveau Pape.

Réactions paradoxales

Parmi les réactions relayées par Le Figaro, Le Monde, le New York Times et le Washington Post sur le choix de Ratzinger, apparaissent en premier plan : la joie des fidèles réunis le 19 avril 2005 Place St-Pierre et à Marktl-Am-In (village natal du Pape) ; le salut des parisiens au théologien, tout en dénonçant son « manque de charisme » (20/04/2005) ; « Fierté et critiques en Allemagne » ; des craintes chez les Protestants ; la confiance et l’espérance des traditionnalistes ; la tiédeur de l’Eglise de France ; la déception des progressistes latino-américains ; joie, ovation et réserve des pèlerins à la messe d’inauguration Place Saint-Pierre ; les divisions et opinions composites au sein du public catholique américain et péruvien ; des doutes chez les Catholiques d’Amérique Latine ; la joie atténuée par le souhait d’un pape du Tiers-monde ; le fait que la grande majorité du public catholique américain supporte néanmoins le choix selon les sondages (26/04/05). D’une manière générale, le résultat du conclave selon les quatre journaux étudiés met l’accent sur les divisions dans l’opinion en Allemagne comme dans d’autres pays européens et latino-américains.

Le conservatisme

Les quatre journaux ont massivement attiré l’attention du lecteur sur le conservatisme radical romain du nouvel élu, qui fait qu’enthousiasme et éloges soient teints par des incertitudes, inquiétudes et questionnements. Au conservatisme, certains éditorialistes (notamment du Washington Post) ont ajouté le caractère intransigeant et inflexible d’un homme aux convictions inébranlables dans un monde tumultueux ; un Leader détenteur d’un solide héritage ; une figure familière du combat au regard des Américains et un chercheur de la vérité, tel qu’il se présente lui-même aux médias le 23 avril 2005. Certains verront tout simplement en Benoît XVI le conservateur par opposition à Jean-Paul II, l’innovateur.

La nationalité et le passé allemand

Plusieurs titres au lendemain de l’élection ont mis un accent particulier sur les origines allemandes et le passé du nouveau Pape, notant surtout la surprise qu’un Pape allemand soit élu seulement 60 ans après la deuxième guerre mondiale. Certains médias (surtout israéliens) n’ont d’ailleurs pas hésité à mener des enquêtes sur son passage aux jeunesses hitlériennes pour s’assurer de sa non-implication au drame de la Shoah. Dans la seconde partie de cette analyse (au prochain numéro), nous verrons comment et en quoi des préjugés liés à la nationalité et au passé allemand de Benoît XVI ont souvent été utilisés dans la communication médiatique de son action et de ses discours durant les cinq premières années de son Pontificat.

Charles Olivier Owono Mbarga

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